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Que nous disent les déboires de WEWORK sur l'avenir du marché de bureaux francilien ?


Les difficultés de WEWORK ont défrayé la chronique au cours des dernières semaines, engendrant une ‘Schadenfreude’ assez française et parfois un peu malsaine.


Ces déboires pourraient avoir tendance à jeter un doute mal venu sur l’ensemble de l’offre de coworking (un tiers du take-up en plus de 5.000 m² au cours des derniers mois) et plus fondamentalement sur ce que nous dit le coworking de l’avenir du marché de bureaux. Qu’en est-il ?


CALECHE vs VOITURE A MOTEUR A EXPLOSION

Pour mémoire, au début du 20ème siècle, il y avait plus d’une centaine de constructeurs automobiles en France. Il en reste à ce jour deux.


A l’époque, les faillites en série de ces apprentis motoristes et carrossiers faisaient les gorges chaudes de la presse (et des entreprises spécialisées dans le ramassage du crottin) qui croyait dur comme fer à l’avenir de la calèche. Et pourtant !


Le marché de bureaux francilien, à l’approche du SIMI 2019 (temple des oracles consultés sur la question qui taraude tout le monde : la fête va-t-elle continuer ?) vit une période étrange que l’on pourrait qualifier d’euphorie inquiète ou de soucieuse euphorie.


UNE SOUCIEUSE EUPHORIE

Euphorie car les valeurs locatives prime et les valeurs vénales atteignent un plus haut historique (quand bien même la barre des 1.000 euros HT par m² en valeur faciale ne semble pas si simple à accrocher en raison de quelques contraintes d’impact sur l’EBITDA des preneurs), très aidées en cela par le coût nul à négatif du cash, tandis que l’offre de qualité se raréfie à Paris, la recherche de centralité concentrant les négociations sur quelques immeubles.


Cependant, la profession sent bien que WEWORK a eu le mérite de superbement démontrer qu’une attente de marché n’était pas du tout satisfaite, à savoir : des bureaux beaux et agréables, riches en service, très bien placés, proposés selon une offre ‘all inclusive’ et pouvant être souscrits via la signature d’un bon de commande recto verso…. Et qu’au-delà une brèche a été durablement ouverte : l’expérience utilisateur peut prévaloir sur les caractéristiques intrinsèques d’un immeuble, la marque et la promesse associée sur son adresse.


UNE BRECHE DURABLE

Le fait est que rien ne sera plus comme avant et qu’il est possible de proposer aux entreprises en quête d’espaces de travail pour mener à bien leurs activités cœur de métier une ‘expérience’ un peu plus fluide, simple et sympathique que le chemin de croix consistant à piloter un projet de relocalisation ‘classique’… et accessoirement de payer tous les coûts engendrés et associés, parfois peu justifiés (à ce sujet des développements passionnants se font jour pour 'streamliner' et simplifier tous ces processus immobiliers, tout en les sécurisant juridiquement. Voir en particulier l'offre d'OLARCHY, motorisée par la Blockchain).


DES OPPORTUNITES A SAISIR

Plutôt que d’ergoter sur la mort du bureau ou du coworking, ce qui sera dans les deux cas démenti par l’avenir, il est beaucoup plus intéressant de réfléchir en termes plus stratégiques aux opportunités d’Upside ainsi offertes aux entreprises (utilisateurs) et aux bailleurs/investisseurs.


POUR LES ENTREPRISES : DES SOLUTIONS D’EXTERNALISATION DESORMAIS TANGIBLES ET CREDIBLES

Pour les entreprises, soumises plus que jamais à la dictature du court terme et aux injonctions contradictoires (cf l’exemple récent d’un constructeur automobile français ayant pris à bail 16.000 m² de bureaux à Rueil, qu’il va quitter prématurément avec 8 ans de bail restant à courir), des offres crédibles d’externalisation complète de la complexité d’un projet immobilier sont enfin disponibles, fondées sur des réalisations visibles en nos bonnes provinces, et plus seulement à NYC ou Londres.


En France : DESKEO (Groupe KNOTEL), SPACES (Groupe IWG), WOJO (Groupe ACCOR), WELLIO (Groupe COVIVIO), en Grande-Bretagne : THE INSTANT GROUP : tous ces acteurs opèrent des espaces de coworking et proposent par extension à des entreprises de prendre à bail, concevoir, réaliser puis opérer des espaces de travail qu’elles peuvent occuper de manière privative (corpoworking ou mono-coworking).


Plus que la flexibilité, cette offre adresse le souhait des Directions Générales, à la recherche d’agilité et d'un ‘Time To Market’ maîtrisé et raccourci, de sous-traiter à un sachant la gestion de projets complexes. Ce dernier est mieux à même d’amortir les CAPEX associés à un projet immobilier sur une plus large base d’utilisateurs (mes éventuels successeurs pour les espaces considérés) et/ou de temps (mes aménagements serviront à d’autres après mon départ).


Nous l’avons beaucoup écrit : cette offre de mono-coworking va se développer car elle est rentable (beaucoup plus que le multi). Effectivement, dégager un profit dans un centre de coworking ‘classique’ nécessite soit d’avoir extrêmement bien négocié le loyer sous-jacent, soit de bénéficier d’un taux d’occupation moyen supérieur à 90%... et souvent les deux.

Cette offre de services, en devenant crédible et pérenne, va libérer la réflexion des entreprises qui pourront concevoir leurs implantations tertiaires autour d’un triptyque : Home Office + Base Office + Touch Down Office.


Une fois défini un schéma d’organisation épousant les inévitables variations de la courbe de charge, elles pourront solliciter des opérateurs pour mettre en œuvre et leur facturer un TCO (Total Cost of Ownership ou Occupancy), comme cela se pratique désormais depuis longtemps en informatique, y compris sur des applications critiques de type ERP.


POUR LES PROPRIETAIRES ET BAILLEURS : UNE OPPORTUNITE DE CREATION DE VALEUR DURABLE

Pour les investisseurs, l’avènement durable de ces tendances et habitudes de consommation ouvrent des occasions de revisiter leur pratique immobilière historique et leur cœur de métier. L’évolution nécessaire va aller de la commercialisation d’immeubles, assez banalisés malgré les brochures, naming et autres efforts salutaires de marketing, à la proposition d’espaces de travail à valeur ajoutée, nécessitant de bien connaître (et d’être bien connu) de ses clients finaux. Autrement dit pivoter (comme disent les start-up) d’un marketing B2B à une stratégie de type B2B2C.


Ce pivot, qui est assez largement partagé par la communauté des bailleurs comme élément de communication ‘corporate’, mais encore peu incarné, recèle beaucoup d’implications :

  1. Un enjeu de MARQUE visant à promouvoir une ‘expérience’ au sein d’un patrimoine beaucoup plus qu’une longue liste d’adresses. D’un sujet de sachant et d’expert, la commercialisation va devenir un sujet grand public. Ceci implique de choisir un immeuble parce qu’il est associé à une marque forte plutôt que parce qu’il est situé là où il est situé, faute de mieux…. Après tout, un iPHONE et un SAMSUNG sont-ils si différents au-delà du message statutaire qu’ils renvoient ? Des ‘gammes d’immeubles’ pourraient être envisagées et poussées proactivement auprès des entreprises, à l’instar des portefeuilles de marques proposés par des hôteliers.

  2. Un enjeu d'INTEGRATION de savoir-faire et de services, afin de donner corps à cette expérience. Il est étonnant de voir les propriétaires proposer des plateaux nus, parfois peu densifiables faute de mesures conservatoires appropriées, consciencieusement aménagés puis déconstruits par les locataires à leur départ, alors même que nombre de leurs besoins fonctionnels, techniques et technologiques pourraient être proposés et couverts d’emblée par le propriétaire : outils de mesure de l’occupation, hall riche en technologies améliorant drastiquement l’accueil des visiteurs, aménagements bien pensés et mis en œuvre par des propriétaires censément détenteurs d’une expertise unique en la matière, prestations d’accueil, de gardiennage et de maintien en condition de l’immeuble, voire d’animation des occupants de l’immeuble, etc. En ce sens pour des propriétaires/bailleurs, (ré)internaliser des métiers comme le Property Management ou en redécouvrir la noblesse serait une excellente chose. Bon nombre de groupes hôteliers en difficultés ont découvert que leurs déboires provenaient d’une expérience client mal délivrée, car confiée à des opérateurs focalisés sur leur marge plutôt que sur la création d’un affectio societatis durable avec la marque…

  3. Un enjeu de SUPPORT JURIDIQUE, afin de mettre en œuvre un contrat s’éloignant des canons du bail commercial (conçu dans les années 50 !) et se rapprochant des contrats de management, propres à l’hôtellerie, qui articulent un loyer faible avec un système d’intéressement aux bénéfices, alignant mieux les intérêts du locataire, du propriétaire et de l’opérateur exploitant les espaces de travail. Le bail offre certes un droit au renouvellement au locataire (s’il va au bout de son bail !) et surtout une visibilité au propriétaire, assortie d’une sécurité sur le flux locatif. Cette ‘sécurité’ est largement mythique, puisque la pratique consistant à renégocier un bail à tout moment est désormais largement admise. Or l’expérience démontre que flexibilité est synonyme de pérennité et que si un site est adapté aux besoins d’une entreprise et épouse les hauts et les bas de son histoire, elle ne le quitte pas !

  4. Un enjeu de PARTAGE DES CAPEX engendrés par un projet, au sens où la profession immobilière raisonne de manière extrêmement schématique entre investissements dépendant du propriétaire et investissements dépendant du locataire. Il serait intéressant et constructif de s’accorder sur une allocation différente de ces CAPEX (cf 3.) et sur des limites de prestation poussant par exemple le propriétaire à aller plus loin dans l’aménagement des espaces qu’il propose et des services associés… Cette gestion différenciée des CAPEX pourrait être mieux pilotée grâce à la distinction au sein des entités propriétaires entre une activité portant des actifs ‘nus’ (PropCo) et une activité chargée de les exploiter (OpCo), toutes deux ayant le même actionnaire et décisionnaire ultime.

  5. Un enjeu de mode de VALORISATION des immeubles car le principal argument de la profession pour ne pas entendre les demandes des entreprises qui réclament plus de flexibilité et une approche reposant plus significativement sur de la prestation de services est que le bail commercial est la pierre d’angle de toutes les expertises et par là même de toute la tuyauterie financière de la profession… Ce point de vue se discute et des KPI tirées de la profession hôtelière permettraient de surmonter cette objection : l’ANR et la vacance pourraient être remplacées par le suivi d’une notion de RevPar (Revenu par occupant) et de TO (Taux d’Occupation), bien plus pertinents pour appréhender la qualité d’un immeuble ou d’un portefeuille car constituant des mesures nourries par les utilisateurs de l'immeuble eux-mêmes… On pourrait imaginer des rapports d’activité faisant cohabiter les deux types de KPI pour bien négocier la transition d’un système à l’autre. A la fin, il s’agit toujours de capitaliser un flux de revenus.

  6. Un enjeu enfin de REMUNERATION et d'ANIMATION des intermédiaires, et plus fondamentalement d’accès au marché, puisque le choix d’externaliser la force de vente chargée de commercialiser une offre de services est un modèle qui a d’ores et déjà touché ses limites dans bon nombre de secteurs : la pharmacie ou l’industrie du tourisme pour n’en citer que deux. Réfléchir à des mécanismes plus sophistiqués d’incentives (plutôt que les hiératiques 15% du loyer annuel), de stratégie de commercialisation (et ce faisant redonner du sens à l’exclusivité du conseil et à des études marketing réelles) pour laisser moins de prise au facteur chance serait opportun. Pourquoi ainsi ne pas envisager en tant que propriétaire de réinternaliser le ciblage de locataires pertinents pour n’en confier que l’approche argumentée à des tiers (et accessoirement garder le contact avec ses anciens locataires/clients) ? Pourquoi ne pas déployer systématiquement des techniques de marketing éprouvées telles que les analyses conjointes ? Pourquoi ne pas fonder l’établissement d’un loyer sur une évaluation fine de la volonté de payer (Willingness To Pay) plutôt que sur du ‘Peer Pricing’ un peu simpliste (l’immeuble à 50 m vaut 850 €, pardon 1.000 € donc le vôtre aussi…) ?


CONCLUSION

Nous le constatons : le champ des possibles ouvert par les défricheurs du coworking est immense, car il s’agit en fait de revisiter la relation entre entreprises de plus en plus riches en matière grise (autrement dit des ‘clients internes’ plus sophistiqués et plus attentifs à leurs conditions de travail… et surtout plus enclins que par le passé à voter avec leurs pieds) et fournisseurs de solutions (au sens espaces de travail).


La très bonne santé du secteur, qui est une excellente nouvelle, peut avoir soit un effet lénifiant (pourquoi changer une industrie qui gagne ?), soit fournir les moyens financiers à ses opérateurs, en particulier propriétaires et bailleurs ' classiques', d’expérimenter et d’industrialiser des nouvelles pratiques et approches, dont la pertinence a été démontrée à 'échelle réduite' (le coworking représente à date moins de 5% du stock) par quelques courageux pionniers.


Propriétaires et bailleurs : saisissez-vous-en de ces nouveaux besoins pour adapter vos modèles économiques !


Entreprises : soyez plus ambitieuses dans votre approche des enjeux immobiliers !


Guillaume SAVARD

Associé Fondateur

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