
Bruno METTLING, Directeur Général du Groupe ORANGE, en charge des Ressources Humaines, vient de remettre à la Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation, Mme Myriam El KHOMRI, un rapport passionnant, analysant la manière dont la révolution technologique que nous vivons impacte les conditions de travail, l’organisation du travail et les pratiques de management.
Dense, le rapport est très instructif à plusieurs titres.
Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à ses remarques en rapport avec les espaces de travail et l’immobilier des entreprises, thèmes sur lequel trois constats nous conduisent à des commentaires et réflexions développés en fin d’article.
La mobilité : croissante et multiple
Le rapport décrit l’évolution des formes de travail en France et évoque plus particulièrement l’émergence des télé travailleurs.
Il rappelle ainsi que 12% des salariés français sont couverts par des accords de télétravail, tels qu’inclus dans le Code du Travail en 2012.
L’exemple d’Orange est cité, où 7% des salariés pratiquent activement le télé travail. Renault pourrait être ajouté, la proportion y étant la même, obtenue en très peu de temps.
Surtout, le rapport développe une segmentation des télé travailleurs :
Les « télé travailleurs à domicile » : catégorie la plus fréquemment citée, dont la plus grande partie, 48%, travaille à hauteur de 1 à 2 jours maximum depuis son domicile,
Les « télé locaux » : télé travailleurs qui effectuent les tâches qui leur incombent depuis un tiers-lieu et non pas depuis leur domicile, ce lieu étant mis à leur disposition par leur entreprise ou opéré par un tiers (sites de co-working, qui ont dépassé la barre des 120 implantations en France en 2013 et hébergent en moyenne 100.000 personnes),
Les « travailleurs nomades » : salariés qui sont hautement mobiles et très peu derrière un ordinateur dans les locaux de leur entreprise,
Les « télé managers » : cadres qui animent des équipes dispersées sur plusieurs sites, sans proximité géographique ou physique,
Le rapport évoque également une catégorie à part mais en forte croissance, constituée de télé travailleurs par structure : les « free lance », dont le nombre a augmenté de +85% entre 2004 et 2013 en France, pour représenter 7% des employés du secteur des services en France, contre 11% en Allemagne et 18% aux Pays-Bas.
Plébiscité par ceux qui le pratiquent (95% estiment avoir gagné en qualité de vie), et très certainement par les Comités de Direction lorsque ceux-ci découvriront qu’une majorité de télétravailleurs estiment travailler plus que dans l’enceinte de leur entreprise, le télé travail s’impose donc comme un mode d’organisation de moins en moins confidentiel et honteux.
Cohérent avec ses propres observations, le rapport plaide pour un cadre législatif facilitateur, puisque les entreprises qui mettent en place le télé travail cumulent ses contraintes réglementaires spécifiques avec celles du Code du Travail.
Les espaces de travail : une mue nécessaire
Peu suspect de parti pris, le rapport revient sur l’importance pour les entreprises d’adapter leurs espaces physiques à ces nouvelles pratiques en matière d’organisation du travail.
Sans l’évoquer explicitement, le rapport formule des recommandations ressemblant furieusement à de l’Activity Based Workplace :
La mise en place d’espaces de concentration favorisant le travail de lecture et d’analyse,
Le déploiement d’espaces « renforçant le collectif » : lounge, lieux de collaboration informels, espaces rendant possible la sérendipité, etc.
La mise à disposition d’espaces favorisant l’innovation et la créativité : salles de réunion modulaires, labs, ateliers tertiaires, bacs à sable, etc.
Bruno METTLING et les experts interrogés invoquent ces espaces en rappelant en quoi la révolution technologique actuelle est unique : impactant l’ensemble des dimensions de notre vie quotidienne, elle fait exploser les pratiques anciennes et, en suscitant des nouvelles formes de travail, impose aux entreprises de réfléchir à de nouvelles manières de s’organiser dans les bâtiments qu’elles exploitent.
Inciter au télé travail ou placer les managers en situation d’animateurs de communautés constituées d’individus répartis sur différents sites nécessite donc de mettre en place des espaces, permettant à ces populations, généralement diplômées et autonomes, de « reconnecter » avec leur entreprise et de se maintenir dans une cohésion de groupe, celle de la société qui les emploie.
L’hybridation du management et des formes de travail a pour corollaire une hybridation de l’environnement de travail.
Ces espaces sont multiples : « touch down », salles de réunion permettant des échanges informels, voire halle d’accueil prenant la forme d’un bar café (projet de nouveaux bureaux de DDB Paris, dirigé par Mathieu de LESSEUX) : le lieu de convivialité, d’information et de « reconnexion » par excellence !
Des préconisations pragmatiques et nécessaires
Les rédacteurs du rapport formulent plusieurs dizaines de recommandations, dont nous retiendrons, de manière très partisane, les suivantes :
Réfléchir à des dispositifs fiscaux favorisant l’essaimage digital (accessoirement au demeurant, pourquoi ne pas plus systématiquement envisager dans les projets immobiliers de consolidation/relocalisation des espaces de co-working « embedded » i.e. susceptibles d’accueillir des jeunes pousses ou des partenaires de l’entreprise prenant à bail l’essentiel des bureaux, afin de jouer les effets de fertilisation croisée ?),
Développer des espaces de travail propices à l’épanouissement d’une culture digitale… et incidemment à l’attraction des talents qui ne conçoivent plus forcément de devoir attendre 20 ans et autant de promotions pour organiser leur espace de travail comme ils le souhaitent,
Doubler le « droit à la déconnexion » actuellement pratiqué par un nombre grandissant d’entreprises par un « devoir de déconnexion » (pas d’emails le week-end). Ce « devoir de déconnexion » par translation deviendrait un « devoir de reconnexion » qui imposerait à l’entreprise employant de nombreux travailleurs nomades ou mobiles, de mettre en œuvre des espaces adaptés lorsque ceux-ci reviennent au nid.
Avant tout, concevez votre immobilier autour de flux !
La lecture de ce rapport nous conduit par extension à recommander une approche beaucoup plus dynamique des espaces de travail et des m².
Jusqu’ici addition de postes de travail fixes soigneusement adossés à une hiérarchie qui en fait des éléments statutaires, les bureaux et l’immobilier gagneraient désormais à être conçus respectivement comme un réceptacle de flux et comme une plate-forme qui doit faciliter ces derniers et en épouser les baisses de régime et montées en charge.
Dans le cadre de leurs projets immobiliers, les entreprises seraient inspirées de concentrer leurs efforts non pas sur l’approximation du volume de m² optimal à un instant t (estimation rapidement démentie), mais plutôt sur la conception d’un écosystème privilégiant plusieurs hubs, la pertinence et la flexibilité des liens entre eux, leur localisation et les services mis à la disposition des salariés dans chacun d’eux...
En clair une flotille de frégates rapides (et agiles) plutôt qu'un porte-avion peu manoeuvrant (et coûteux en exploitation) !
Société Générale travaille en ce sens à Val de Fontenay pour dédensifier son pôle de La Défense. Deloitte a procédé de même quelques années auparavant à Neuilly.
Cette organisation flexible, modulaire, « scalable » s’attacherait à coller à des usages et non plus à la vision nécessairement centralisatrice et hiérarchique de directions générales rassurées de savoir toutes les ouailles sous le même toit.
Aux sièges sociaux et méga-campus (localisés en conséquence en périphérie) succéderaient des « Community Buildings » plus petits
...Urbains, stratégiquement placés pour optimiser le temps de déplacement de leurs occupants temporaires et conçus pour permettre à leurs visiteurs d’être hyper-efficaces…
La seule adresse comptant pour ces derniers étant leur adresse… IP.

Guillaume SAVARD
Associé Fondateur