
Tout va pour le mieux… et pourtant
Porté par la forme olympique du marché de l’investissement et de statistiques de demande (« take-up » dans le jargon usuel), difficiles à interpréter puisque consolidées et présentées uniquement en volume (nombre de m² transactés) et non pas en valeur (loyer après remise négociée entre les parties engagées dans la négociation transaction par transaction), le marché de l’immobilier d’entreprise français ne voit aucun motif d’inquiétude à l’horizon, la ‘menace’ éventuelle constituée par le coworking étant en passe d’être digérée grâce à son appropriation à grands frais et renforts de communication par les acteurs les plus chics du secteur (Bouygues Immobilier, Gecina, Icade, Foncière des Régions, Sodexo) et son assimilation (très réductrice) à des principes d’aménagement remplaçant le bureau par le canapé.
Dans ce contexte, un phénomène n’est bizarrement jamais évoqué : c’est celui de la blockchain, qui nous semble pourtant riche d’un potentiel disruptif intéressant ou inquiétant, tout dépend du point de vue adopté.
Qu’est-ce que la blockchain ?
Sujet jusqu’à maintenant réservé aux geeks, connu à travers son plus célèbre avatar, le Bitcoin, lequel sent lui-même le soufre puisqu’assimilé à la monnaie d’échange des mafias (chinoises qui plus est) et autres réseaux ne souhaitant pas se faire connaître en raison même de l’une de ses spécificité, la confidentialité absolue garantie aux transactions passant par son intermédiaire, la blockchain est beaucoup plus que cela…
Blockchain se présente avant tout, dans notre perspective, comme un registre partagé, permettant de garantir une ‘version unique et inviolable de la réalité’, grâce à une plate-forme technologique décentralisée et mutualisée (toute information est hachée sous forme de blocs rendant impossible sa modification ou son détournement), dont le principe clé repose sur une intense collaboration (via la mobilisation des ‘mineurs’) et la caractéristique principale est constituée par le fait de n’appartenir… à personne, ce qui revient à l'essence de la démocratie (vs la ploutocratie qu'est devenu le secteur de l'immobilier d'entreprise).
Cette contribution ne vous renseignera pas plus sur cette technologie prometteuse. Pour ce faire, nous vous renvoyons plutôt vers des sites spécialisés tels que Blockchain France (blockchainfrance.net).
Néanmoins, pour illustrer la puissance de cette rupture technologique, nous allons recourir à un cas d’usage simple constitué par l’indemnisation d’ayant droits, inscrits en tant que bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie, lors du décès de son souscripteur (paix à son âme).
Dans un univers blockchain, le recours à un support spécifique, appelé ‘smart contract’, permet d’enregistrer les données clés du contrat d’assurance-vie (souscripteur, nom du ou des bénéficiaire(s), montant de l’assurance-vie) de manière définitive et absolument impossible à modifier.
A fréquence régulière le nom du souscripteur et du/de ses bénéficiaire(s) est vérifié auprès du RNIPP (Registre National d’Identification des Personnes Physiques), l’Etat français ayant mis à disposition l’ensemble des données en sa possession, véritable mine d’or pour qui sait les exploiter. En parallèle, une vérification des données d’état-civil est régulièrement réalisée (mariage, naissance, absence de divorce et de naissance) par blockchain.
Au-décès de l’assuré, signalé automatiquement par le RNIPP, une notification est émise vers le ‘smart contract’ qui est mis à jour et déclenche automatiquement les règles de gestion permettant l’indemnisation du ou des bénéficiaire(s), pour peu que ces derniers soient toujours vivants, le versement effectif de l’indemnité étant lui-même inscrit, de manière inviolable et définitive, dans la blockchain.
Que signifie ce cas simple ?
La disparition pure et simple de tous les organismes jouant le rôle de tiers de confiance : en l’espèce la compagnie d’assurance auprès de laquelle vous avez souscrit un contrat d’assurance-vie, son rôle consistant à vous garantir l’application des conditions générales du contrat et son bon débouclage, sa bonne fin, grâce à d’innombrables ressources employées dans des front-, middle- et back-office… (consommant beaucoup de m² heureusement).
Dans ce contexte on comprend mieux pourquoi toutes les compagnies d’assurance et banques investissent à tour de bras dans des POC (Proof Of Concept) et autres séminaires de mise à niveau autour de cette nouvelle technologie et de ses implications fonctionnelles, organisationnelles et stratégiques.
Quid de l’immobilier d’entreprise ?
En quoi l’immobilier d’entreprise est-il concerné me direz-vous ?
Pris par le temps, nous n'avons recensé que quatre champs d’application simples et vous invitons à réfléchir de manière spécifique aux implications de la blockchain dans votre activité que vous soyez foncière, promoteur, broker, notaire, property manager ou libre penseur.
Un registre transactionnel décentralisé et unique
Qui a traité d’acquisitions ou de ventes en immobilier d’entreprise sait la masse de temps passé sur les diligences préalables et la reconstitution de l’histoire d’un actif, à travers les différents documents et informations qui lui sont rattachés.
A travers blockchain, nous pourrions imaginer la mise en œuvre d’un registre immobilier, inviolable et assurant une traçabilité parfaite de l’information, rassemblant les données descriptives des immeubles (voilà une belle destination pour l’ensemble des efforts déployés autour du BIM - Building Information Management), et les documents y attachés, ces derniers allant des titres de propriété aux rapports d’expertise en passant par les plans et diagnostics divers.
Au-delà des gains de temps massifs dans la collecte, la fiabilisation et l’authentification des informations associées à l’actif en question, blockchain garantirait une traçabilité et une historisation systématique évitant les phénomènes de sédimentation et d’asymétrie de l’information propres aux transactions immobilières (adieu les conditions suspensives).
Dans un tel système, notaires et brokers joueraient un rôle de conseils à forte valeur ajoutée plutôt que de médecins légistes (voire de réanimateurs dans certains cas), pour le plus grand bien des parties engagées dans ces transactions.
Un quittancement automatique
A l’image de notre contrat d’assurance-vie, un bail pourrait être stocké dans blockchain sous forme de ‘smart contract’, les quelques règles de gestion qu’il contient (montant du loyer, des charges, de la fiscalité, calcul de l’indexation) étant paramétrées dans ce dernier, les sources d’information externes étant disponibles et accessibles (bases de l’INSEE pour l’ILAT ou de la DGFIP pour la fiscalité).
Trimestriellement et de manière automatique, inviolable… et donc incontestable, les quittances pourraient ainsi être déclenchées, sans intervention du propriétaire et sans nécessité de contrôle de la part du locataire, l’application stricte des règles de gestion étant garantie par blockchain.
A la clé, des gains d’efficacité pour les propriétaires, la possibilité pour les locataires de demander un enrichissement de leurs quittances (allocation par nature comptable, ventilation du loyer par centre de coût, etc.) : en somme, l’opportunité de revisiter des processus de gestion lourds et consommateurs de temps pour concentrer les efforts des parties engagées sur les éléments à valeur ajoutée de la relation.
Un référentiel transactionnel transparent et complet
Parler de transparence dans un marché transactionnel français intermédié à plus de 50% et dont les données de marché sont collectées, consolidées, restituées et commentées par lesdits intermédiaires frise l’oxymore.
Là encore, blockchain pourrait contribuer à la mise en œuvre d’un référentiel à l’indépendance absolue puisque totalement décentralisé, immuable et inviolable.
Les transactions locatives pourraient y être enregistrées avec luxe détails (gabarit, loyer de présentation, mesures d’accompagnement détaillées, parties engagées au sens propriétaire, locataire, conseils, classification internationale de l'immeuble), la fiabilité des données et la totale indépendance du registre étant garanties par le fonctionnement même de blockchain, différents contributeurs pouvant enrichir les données descriptives d’une transaction de manière anonyme, grâce au système de clé publique/clé privé propre à blockchain, pour peu qu’ils soient identifiés comme parties prenantes à la transaction réalisée.
Un tel référentiel incarnerait la preuve irréfutable de la totale transparence du marché, facilitant ce faisant le travail des experts immobiliers dans le cadre de l’évaluation d’immeubles, des propriétaires dans la détermination de leur stratégie de commercialisation et des preneurs dans l’ajustement de leurs attentes lors d’une prise à bail dans un secteur géographique donné.
Une capillarité maximale pour le coworking
La distribution au détail d’espaces de travail à laquelle on peut assimiler le coworking bute sur un bête problème : la lourdeur des tâches de gestion pour avoir accès à un poste de travail et contractualiser puis facturer l’usage d’un poste de travail durant un laps de temps potentiellement très court (quelques heures), qui constitue l'intérêt même du coworking.
Blockchain peut-il nous être d’une aide quelconque en la matière ? La réponse est oui.
Face à une cartographie raisonnée des postes de travail/espaces de coworking un registre type blockchain des utilisateurs habilités pourrait être mis en œuvre (les salariés d’une entreprise donnée par exemple). A cette habilitation serait associé un ‘smart contract’ capturant les règles de gestion, notamment tarifaires, applicables à ces utilisateurs habilités.
Le système de clé publique/clé privé permettrait à ces utilisateurs habilités d’accéder aux espaces disponibles enregistrés par l’intermédiaire d’un ‘oracle’ dans blockchain, et, après avoir été reconnus et habilités, de les utiliser puis d’être automatiquement facturés à l’usage.
Nous sommes dans ce cas d’usage face à une configuration proche de celle de la location de voiture avec assurance intégrée, expérimentée par des assureurs en France, le produit d’assurance mis en œuvre dans ce cas de figure étant la résultante de la rencontre entre un assuré, faisant le choix des options et niveaux de couverture qu’il souhaite appliquer pour un voyage donné, et les caractéristiques du véhicule qu’il va emprunter pour réaliser ce trajet spécifique… et unique…
En conclusion... Beaucoup d’opportunités de disruption et donc de captation de valeur
Nous le voyons, à travers quelques cas d’usage simples (les meilleurs !), la technologie blockchain est riche d’une approche résolument nouvelle d’un certain nombre de situations.
Fortement intermédié, associé à des processus de gestion et de documentation lourds, structuré par de nombreux acteurs agissant comme tiers de confiance (sociétés de gestion, brokers, GIE type IMMOSTAT, notaires, etc.), l’immobilier d’entreprise se prête à de multiples expériences et POC blockchain soit pour optimiser des processus de gestion antédiluviens, soit pour déployer de nouvelles offres de service allant vers toujours plus de personnalisation et de structuration par l’usage. Bon courage !
Cette contribution a été rédigée grâce à des échanges menés avec Antoine SAVARD, spécialiste de ces questions chez STANWELL Consulting. Je le remercie chaleureusement...

Guillaume SAVARD
Associé Fondateur