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Baux commerciaux et nouvelles normes comptables IFRS16 : 5 minutes pour (enfin) tout comprendre !



Ca y est ! Le serpent de mer que constituait l’application de nouvelles normes comptables aux contrats de location émerge enfin.


Un texte plutôt simplifié par rapport aux versions précédentes a été approuvé, avec une applicabilité à compter de janvier 2019…


Sous réserve d’adoption par l’Union Européenne, ce qui suppose que l’Union Européenne existe encore à cette date.


Quelle est la philosophie du texte ?

L’approche considère les contrats de location (baux commerciaux dans notre cas) comme des engagements hors bilan, qui doivent être comptabilisés de manière transparente et harmonisée d’une entreprise à l’autre.


Techniquement un contrat de location (et par extension ici un bail commercial) sera traité comme l’acquisition d’un immeuble financée par un emprunt :

  • A l’actif figurera un droit d’utilisation correspondant à la valeur actualisée des loyers et d’un certain nombre de coûts associés sur la durée du bail, reclassés entre un amortissement annuel et des intérêts,

  • Au passif figurera une dette.


Simple dans son essence, de prime abord cette approche ne va pas changer grand-chose sur le fond mais engendrer des efforts supplémentaires de la part des Directions Immobilières pour documenter la communication financière de leur entreprise sur ce sujet.


Nous verrons cependant que ce pas supplémentaire vers la financiarisation des décisions immobilières des utilisateurs aura quelques implications (huit, pas moins, selon nous).


Quel est le périmètre d’application ?

Toutes les entreprises publiant des états financiers aux normes IFRS sont concernées.

En matière de contrats, les baux commerciaux entrent dans le champ d’application de la nouvelle norme (des « tests » sont prévus et peuvent être appliqués par ceux qui ne nous croiraient pas).


Sont cependant exclus du champ d’application les contrats de location d’un petit montant unitaire (moins de 5.000 euros), les contrats de location inférieurs à 12 mois… ainsi que les contrats de prestation de services (autrement dit les contrats conclus avec REGUS, WEWORK ou des espaces de COWORKING).


Quels sont les concepts clés ?

Les trois concepts clés à comprendre sont :

  • La notion de droit d’utilisation,

  • La durée d’amortissement,

  • L’avantage économique significatif.


Le droit d’utilisation


Comme indiqué en introduction, l’appréciation d’un contrat de bail comme un « passif de loyers » implique d’être en mesure de valoriser une première fois, puis régulièrement au cours de la vie du contrat, la valeur actuelle nette des coûts associés à un bail et à un portefeuille de baux : il s’agit du droit d’utilisation.


Celui-ci correspond à :

  • La valeur actualisée des loyers (hors charges, hors fiscalité et coûts d’exploitation type FM) sur la durée non résiliable du contrat et ses éventuelles périodes optionnelles de renouvellement, si le preneur est raisonnablement certain de prolonger son bail, déduction faite des mois de gratuité de loyer accordés par le bailleur,

  • Les coûts directs initiaux liés à l’obtention du contrat (notamment les honoraires ou coût de mise en place d’une GAPD par exemple),

  • Les loyers prépayés (on peut comprendre ici les montants engagés au titre du dépôt de garantie),

  • La valeur actualisée des paiements en fin de contrat (grosso modo les coûts de remise en état et l’éventuelle indemnité d’immobilisation).


Le Directeur Immobilier averti réalise immédiatement que la comptabilisation de l’ensemble de ces données va constituer un défi, nécessitant la mise en place d’un référentiel, d’outils de suivi et d’une traçabilité de ces dépenses au cours de la vie du contrat (typiquement, l’effet de l’indexation sur le loyer devra être pris en compte en fin d’année et modifier les calculs effectués en début d’année).


Une plus grande transparence sera également requise, passant par une meilleure compréhension (en amont de la prise de décision) des montants d’honoraires associés à une prise à bail.


Adepte des supplices chinois, le concepteur de la norme souhaite que l’actualisation des flux de loyers soit réalisée en fonction d’un taux d’actualisation qui corresponde au taux d’intérêt implicite du contrat. De manière plus pragmatique, on pourra opter pour le taux marginal d’emprunt communiqué par la Direction Financière.


La durée d’amortissement


Calculer un flux nécessite de s’accorder sur un horizon temporel pour le faire. Celui-ci sera constitué par la durée du bail, avec des implications cependant :

  • Le flux est calculé à compter de la date de mise à disposition de l’actif sous-jacent (l’approche relativise donc l’intérêt des périodes de mise à disposition gratuite),

  • Les périodes de renouvellement optionnelles doivent être intégrées au flux si le preneur est raisonnablement certain de renouveler le contrat (voir plus loin le concept d’avantage économique significatif).


Paradoxalement donc, cette approche bat en brèche les efforts et la créativité déployés par les utilisateurs pour tenter de flexibiliser leurs engagements locatifs. C’est sans doute là son implication la plus importante.


L’avantage économique significatif


Pour évaluer si une durée de 6 ou 9 ans doit être prise en compte, le concepteur de la norme introduit la notion d’avantage économique significatif, autrement dit un « test » permettant de statuer. Ce test inclut les paramètres suivants :

  • Le niveau de loyer (au niveau du marché ou proche de celui-ci),

  • Le coût de résiliation du bail (typiquement un bail de 9 ans ferme avec une option de sortie payante à 6 ans sera considéré comme effectivement de 9 ans si le coût de cette option est jugé dirimant),

  • Le coût de retour de l’actif (autrement dit l’état général de l’immeuble : obsolète, 2nde main ou neuf… et ses coûts de remise en état),

  • La spécialisation de l’actif (actif monovalent ou polyvalent),

  • La localisation de l’actif.


Pour nous résumer :

  • Une entreprise occupant un ensemble mixte obsolète pour un loyer notoirement supérieur au marché et l’occupant pour une durée restant à courir de 4 ans pourra raisonnablement calculer son flux sur cette durée (plutôt que 9 ans).

  • Une entreprise occupant un immeuble de bureaux restructuré dans un marché liquide et profond pour un prix proche du marché, venant de renouveler son bail pour une durée de 6 ans, aura du mal à ne pas calculer son flux sur une durée de 9 ans, toutes choses égales par ailleurs.


Quelles sont les implications ?

Selon nous, il y a trois niveaux d’implications à distinguer.


Les implications financières


L’entrée en vigueur de ces normes va contribuer à augmenter le bilan des entreprises : l’actif et les dettes vont gonfler.


Par voie de conséquence, les ratios mobilisant la notion de bilan s’en trouveront modifiés (par exemple le taux d’endettement ou le taux de rotation du capital), ce qui aura des implications sur les « covenants » négociés par ces entreprises. A l’heure de la reprise du marché du LBO, c’est important à noter.


De même, le fait que les charges de loyer distinguent entre un amortissement linéaire et une charge d’intérêt aura un impact sur les ratios mobilisant la notion de compte de résultat : l’EBITDA va s’améliorer, tandis que le Résultat Net va se dégrader.


Les implications en matière de gestion


Les Directions Immobilières vont devoir s’organiser pour collecter puis tenir à jour toutes ces informations, qui sont généralement maîtrisées mais pas nécessairement centralisées en un seul endroit. Les interactions avec la Direction Financière vont s’intensifier et les Directions Immobilières se confronter plus systématiquement aux Commissaires aux Comptes pour justifier de retraitements.


Le poste de ‘Contrôleur Financier Immobilier’ va émerger afin de jongler avec ces nouvelles demandes et être en mesure de documenter plus finement les décisions immobilières.


Les implications pour les Directeurs Immobiliers


A ce stade, nous voyons huit implications opérationnelles à ces normes :

  1. Plusieurs baux pour un même immeuble ? En battant en brèche les efforts des Directions Immobilières pour flexibiliser leurs engagements locatifs, ces normes relancent l’intérêt de mettre en œuvre plusieurs baux d’une durée différente sur un même immeuble et pour un même preneur.

  2. Une convergence des loyers faciaux et économiques ? En introduisant la notion de durée de contrat plus probable qu’improbable, ces normes justifient la fin de la distinction entre loyer facial et loyer économique : schématiquement, un utilisateur aura désormais intérêt à bénéficier d’un loyer facial ajusté et proche d’un loyer économique, plutôt que d’un loyer facial élevé complété de mesures d’accompagnement plantureuses. Vaste sujet…

  3. Une véritable réflexion sur le volume de m² ? Alternativement et de manière plus réaliste, appréhender l’utilisation des m² dans le cadre d’un bail et optimiser ce volume devient le levier privilégié d’action des Directions Immobilières.

  4. La confirmation de l’intérêt des offres de services flexibles ? Exclus des retraitements IFRS, les contrats de prestation de services gagnent en intérêt. Considérés comme « folkloriques » par les grands utilisateurs, ils seront pris en compte plus systématiquement dans les décisions immobilières.

  5. La fin de la variabilité ? En associant de la complexité à la variation du montant des baux, ces normes vont pousser les Directions Immobilières à interroger les propriétaires sur les vertus de l’indexation annuelle ainsi que leurs conseils sur le mode de calcul et la prévisibilité de leurs honoraires transactionnels.

  6. La relance des opérations d’exernalisation ? Ces normes se traduisent par des retraitements complexes pour les opérations de type Sale & Lease Back puisque la disparition d’un actif au bilan suite à sa cession se traduit par… la réapparition d’un actif au bilan, sous la forme d’un droit d’utilisation ! Cependant, en abaissant le montant du produit de cession financier, et donc sa base fiscale, ces normes favorisent des transactions de Sale & Lease Back jusque-là abandonnées en raison de leur rendement fiscal faible à dirimant.

  7. Plus d’entreprises propriétaires ? En rapprochant les modes de raisonnement et de calcul, ces normes conduisent les utilisateurs à documenter plus systématiquement le fait d’être propriétaires de certains actifs d’exploitation et immeubles banalisés.

  8. De nouveaux outils d’aide à la décision ? A nouveau contexte, nouveaux indicateurs. Une nouvelle matrice de cartographie des immeubles d’un utilisateur va voir le jour : elle met en rapport le ratio « Droit d’utilisation/Valeur vénale de l’immeuble considéré» d’une part, le ratio « Charge de loyer retraitée/Charge de loyer ex-ante » d’autre part, en faisant apparaître dans chaque quartile des options stratégiques.


En conclusion

Ces normes IFRS16 appliquées aux contrats de location sont une excellente nouvelle pour les Directions Immobilières !


Certes elles engendrent un surcroît de complexité et de travail pour les équipes en place mais contribuent à positionner les Directeurs Immobiliers au niveau des Directions Générales et de leur bras armé, les Directions Financières, en mettant en avant de manière parfois spectaculaire le poids des engagements qu’elles ont à piloter.


En revanche l’anticipation et la mise en place d’un plan d’actions sont de mise puisque l’Union Européenne sera toujours là en 2019 et que la norme sera adoptée !

Contribution rédigée avec l'aide de Tanguy WATEL, Consultant


Guillaume SAVARD

Associé Fondateur

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